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La transformation des modes de gouvernance de l’enseignement supérieur et de la recherche.
« L’université n’est pas une entreprise ! » Ce slogan a scandé les dernières mobilisations contre les réformes des universités, qui se sont multipliées ces dernières décennies. Pourtant, à y regarder de plus près, force est de constater que l’enseignement supérieur et la recherche se distinguent de moins en moins des entreprises dans ses modes de gouvernance : la collégialité se voit concurrencée par la centralisation du pouvoir dans les mains de gestionnaires, l’autonomie par l’évaluation constante et le financement sur projet, ou encore la solidarité par un morcellement croissant des corps des salarié-e-s et de leurs intérêts respectifs. Ce numéro entend revenir sur ces métamorphoses, de leur esprit à celles et ceux qui les appliquent et les vivent au quotidien.
Table des matières
5 Dossier.
États d’esprit
Quentin Fondu, Mélanie Sargeac, Aline Waltzing
7 Étudier les universités pour mieux les réformer. Le programme sur la gestion des établissements d’enseignement supérieur de l’OCDE (1969-2016)
Quentin Fondu, Mélanie Sargeac, Aline Waltzing
17 Pourquoi l’impuissance des réformes universitaires en France ?
Christophe Charle
29 Les réformes de l’université et de la recherche : une affaire de doctrine ?
Joël Laillier, Christian Topalov
39 La consécration. Jalons pour une socio-histoire de la Conférence des présidents d’université (1971-2022)
Étienne Bordes
49 Enrôler la « communauté universitaire » la conversion managériale de l’encadrement intermédiaire
Mathieu Uhel
59 Qui sont les relais de l’excellence au sein des établissements ? Audrey Harroche
69 Les réformes de l’enseignement supérieur et de la recherche et la marginalisation des sciences humaines et sociales) à l’échelle d’une université
Jay Rowell
81 Réformes de l’imaginaire social et contrôle des subjectivités
RogueESR et Camille Noûs
Grand entretien avec Heela Najibullah
91 « Que reste-t-il de la politique de réconciliation nationale en Afghanistan ? »
propos recueillis par Gaia Lassaube
Pédagogie
103 Sociologie et sociologies spontanées. À propos des « savoirs expérientiels » et des « injustices épistémiques »
Gérard Mauger
Idées
117 À propos de Arthur BORRIELLO, Abolition et permanence du discours de crise en Italie et en Espagne (2010-2013), Jean-Paul FITOUSSI, Comme on nous parle. L’emprise de la novlangue sur nos sociétés
Frédéric Lebaron
Culture
121 L’amour de l’art. À propos de Lydie Salvayre, Marcher jusqu’au soir
Gérard Mauger
133 À propos de Jean-Paul Delahaye, Exception consolante. Un grain de pauvre dans la machine .
Gérard Mauger
Varia
145 Une vision polanyienne du capitalisme contemporain
Marie-France Garcia
161 Les conditions de l’orthodoxie
Marie Quarrey
161 Les cadres intermédiaires de la fonction publique en relais du new public management dans les politiques éducatives
Marie-Pierre Chopin, Jérémy Sinigaglia
Conflits d’intérêts
Conflits d’intérêts : l’expression a fleuri et les situations, révélées par des scandales dans lesquelles des acteurs ayant une mission de service public sont soupçonnés d’avoir été influencés par un intérêt second, se sont multipliées. Affaire du Mediator révélant les liens entre les professionnels de santé et les laboratoires pharmaceutiques, rôle des puissants lobbies de la chimie ou de l’agroalimentaire dans les non-décisions au niveau européen concernant l’évaluation et la circulation de leurs produits toxiques, cumul de positions faisant des experts ou des responsables politiques à la fois juges et parties dans l’élaboration de politiques publiques, distribution de « faveurs trafiquées »… Ou encore ces situations où élus locaux et nationaux, ministres, experts ne « voient » pas le problème éthique ou juridique à user de leur position publique ou de leurs informations d’initiés à fins privatives. Le dossier de ce numéro de Savoir/Agir analyse de nombreux exemples de telles situations.
Ce numéro consacre aussi une partie substantielle aux publications des éditions du Croquant dénonçant le danger que le Front national représente pour la démocratie.
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Aragon ne songeait pas à s’interroger sur la nature d’un monde ou d’un régime politique qui abime les espérances tout autant que les conditions concrètes de vie. Pourtant la question semble s’imposer aujourd’hui. La situation actuelle – faite de fortes tensions sociales, lois d’exception, usage d’une force démesurée contre des manifestants ou de simples citoyens, multiples atteintes aux libertés publiques, décisions sans délibération et négociation, maltraitance de migrants, réfugiés, exilés, adultes comme enfants – mobilise très largement avec des représentations contradictoires qui témoignent à la fois d’une incertitude généralisée sur ce qui est en train de se passer et d’une transformation en cours de la délimitation de ce qui est acceptable ou non en démocratie. Autoritarisme libéral, démocratie autoritaire ou démocratie illibérale ?
Dossier, coordonné par Laurent Bonelli et Annie Collovald
Ordre policier, ordre politique : quelle démocratie espérer ?
Annie Collovald
La loi ou l’ordre ? Considérations sur la question policière
Laurent Bonelli
Réflexions sur le problème raciste
Abdellali Hajjat
Violence policière, violence d’État
Catherine Colliot-Thélène
Répression administrative et répression pénale : l’émergence d’un continuum répressif
Julie Alix
Empêcher, dépolitiser, punir : le triptyque de la répression politique
Vanessa Codaccioni
L’art du désordre toléré. La police des manifestations en Allemagne fédérale
Fabien Jobard
Ordre institutionnel, désordres des trajectoires
Laurence Proteau
Des jeunes qui « ont la vocation »
Propriétés sociales, dispositions et recrutement des candidats au concours de gardien de la paix de la Police nationale.
Frédéric Gautier
Réformes de la police et décroissance policière : promesses et limites de l’expérience espagnole
Sergio Garcia García
Débora Ávila Cantos
Paroles
« Bah, c’est normal, je vais devenir maman, donc il faut que je change quoi »
Clémentine Petitjean
Idées
Domination et résistance. À propos de James C. Scott, La Domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne,
Gérard Mauger
Varia
Perversion narcissique et violence morale en temps de confinement. Note de recherche.
Marc Joly
Chroniques du monde
Racisme et antisémitisme en Allemagne. La RDA au banc des accusés
Sonia Combe
Ordre policier, ordre politique
Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Aragon ne songeait pas à s’interroger sur la nature d’un monde ou d’un régime politique qui abime les espérances tout autant que les conditions concrètes de vie. Pourtant la question semble s’imposer aujourd’hui. La définition de la situation actuelle – faite de fortes tensions sociales, lois d’exception dans un contexte de danger terroriste et sanitaire, usage d’une force démesurée contre des manifestants ou de simples citoyens avec pour bilan un nombre effroyable de blessés, mutilés et de décès, multiples atteintes aux libertés publiques, décisions sans délibération et négociation, maltraitance de migrants, réfugiés, exilés, adultes comme enfants – mobilise très largement avec des représentations contradictoires qui témoignent à la fois d’une incertitude généralisée sur ce qui est en train de se passer et d’une transformation en cours de la délimitation de ce qui est acceptable ou non en démocratie. Autoritarisme libéral, démocratie autoritaire ou démocratie illibérale ? Les labels se multiplient pour qualifier des régimes hier rangés sans hésitation dans la rubrique « dictature » ou « autoritarisme » et pour brouiller des frontières auparavant évidentes : qu’est-ce qu’une démocratie sans libertés publiques ou sans un espace public où sont débattues les questions du « bien vivre ensemble » ? Sous des apparences de continuité (des institutions, des procédures de désignation des dirigeants…) et des invocations incessantes à la République, la démocratie ou « la Patrie des droits de l’homme », n’assiste-t-on pas à des formes de dénaturation des valeurs qui les fondent (humanisme, ouverture aux autres, tolérance, égalité…) et une corruption des idéaux qu’elles véhiculent ? L’observation de la manière dont les gouvernants politiques gèrent l’ordre public, des pratiques politiques et policières qui sont adoptées pour régler les désaccords ou les conflictualités et assurer la sécurité de tous est une entrée éclairante dans le mode de fonctionnement concret du système politique actuel.
Avec la crise du Covid-19, une grande partie des travailleurs indépendants ou faussement indépendants se sont retrouvés sans ressources avec l’arrêt de leur activité. Les diverses mesures prises par le gouvernement ont été assez peu efficaces pour les salariés en emplois précaires. Les intérimaires, par exemple, du fait de la nature même de leur contrat de travail, n’ont pu bénéficier du chômage partiel et ont vu s’effondrer le nombre de leurs missions.
La gestion de la crise sanitaire rend ainsi davantage visibles les différents rapports conflictuels à l’employeur. Elle confirme que la protection des travailleurs est inégale selon les différentes formes d’institutions dans lequel le travail s’inscrit. Elle réactive, en interrogeant le caractère essentiel de certains métiers, les tensions sur la définition de ce qui est travail et donc de ce qui produit de la valeur économique et à quelle hauteur. Elle invite à réfléchir à une maîtrise collective des questions de travail.
Table des matières
Dossier
Quel effacement de l’employeur ?, Jean-Luc Deshayes
L’institution de l’entreprise, Claude Didry
« Longwy vous accueille, JVC nous jette ». Employeur territorial et firmes multinationales dans le bassin de Longwy des années 1980-2000
Jean-Luc Deshayes
La contestation sociale face à l’employeur, invisible derrière l’App. Le cas des plateformes de coursier·es., Anne Dufresne
Qui est l’employeur dans le dispositif de Réussite éducative ? Olivier Leproux
Quelle place pour l’employeur dans le cadre d’un droit à l’emploi ? Réflexion sur l’effacement de l’employeur dans l’expérimentation « Territoire zéro chômeur de longue durée », Mathieu Béraud Jean-Pascal Higelé
Employer des intérimaires en CDI : entre nouvelles obligations et possibilités d’accroître la subordination, Claire Vivès
Les groupements d’employeurs d’insertion et de qualification. Une intermédiation entre jugement d’employabilité et reconnaissance de qualifications territorialement définies, Maël Dif-Pradalier
L’évolution de la loi et de la jurisprudence sur les licenciements pour cause économique. Vers une dilution de la responsabilité des groupes internationaux, Pascal Depoorter
Paroles
Itinéraire d’un trader « Il y a aussi l’adrénaline : ce côté-là est hyper plaisant parce qu’on n’a jamais de routine », Léa Sys
Grand entretien avec Bernard Cassen
« Un homme-orchestre engagé dans le débat d’idées », Antony Burlaud
Idées
Moralisation de la Science et autonomie de la recherche, Yves Gingras
Citations et références. Pour une sociologie des habitus académiques, Louis Pinto
Avec la crise du Covid-19, une grande partie des travailleurs indépendants ou faussement indépendants, mais dépendant du marché des biens et services pour valoriser leur travail, se sont retrouvés sans ressources avec l’arrêt de leur activité. Les droits salariaux assis sur le poste de travail ont pu, pour leur part, protéger les travailleurs. Mais ils ont aussi montré leurs limites. Durant le confinement, le maintien du lien à l’emploi grâce aux mesures de « chômage partiel » a permis de maintenir les salaires à hauteur de 84 % et les droits liés à l’emploi. Les chômeurs ayant acquis des droits ont vu ceux-ci prolongés, dans des conditions qui, du fait des réformes mises en œuvre depuis les années 1980, sont cependant de plus en plus excluantes. Les salariés à statut (dans la fonction publique et ce qui reste des anciennes entreprises publiques) ont bénéficié pour leur part du fait que leur qualification est liée à leur personne : leurs ressources ne dépendent pour l’essentiel ni de leur capacité à vendre le produit de leur travail, ni de la mesure de leur travail, ni encore de la tenue d’un poste.
En revanche, les diverses mesures prises par le gouvernement ont été assez peu efficaces pour les salariés en emplois précaires. Les intérimaires, par exemple, du fait de la nature même de leur contrat de travail, n’ont pu bénéficier du chômage partiel et ont vu s’effondrer le nombre de leurs missions.
La gestion de la crise sanitaire rend ainsi davantage visibles les différents rapports conflictuels à l’employeur. Elle confirme que la protection des travailleurs est inégale selon les différentes formes d’institutions dans lequel le travail s’inscrit. Elle réactive, en interrogeant le caractère essentiel de certains métiers, les tensions sur la définition de ce qui est travail et donc de ce qui produit de la valeur économique et à quelle hauteur. Elle invite à réfléchir à une maîtrise collective des questions de travail.
Ce numéro poursuit l’inventaire critique des transformations des sciences et techniques. L’objectif est de rendre raison de phénomènes émergents et instables. Le dossier « Frictions » traite du narcissisme. De nouvelles pièces sont ensuite versées au dossier des classiques à (re)lire, notamment un texte de Johan Galtung sur le « colonialisme scientifique », qu’il analyse à travers le projet Camelot (1964-1965), et un entretien avec l’historienne Antonella Romano. Des essais critiques complètent ce numéro.
Avec les contributions de
Myriam Ahnich, Bruno Canard, Pierre-Henri Castel, Cléo Chassonnery-Zaïgouche, Béatrice Cherrier, Pauline Delage, Stéphane Dufoix, Volny Fages, Johan Galtung, Yves Gingras, Céline Granjou, Paul Guille-Escuret, Marc Joly, Mahdi Khelfaoui, Richard Kilminster, Isabelle Laboulais, Jérôme Lamy, Julien Larregue, Sylvain Lavau, Ronan Le Roux, Camille Noûs, Corentin Roquebert, Margaret W. Rossiter, Arnaud Saint-Martin, Hugo Souza de Cursi, Sébastien Urbanski.
Éditorial
Le Coronavirus, la recherche, et le temps long
Bruno Canard
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Confrontations
Edward L. Bernays, la vérité et la démocratie : de la publicité aux relations publiques
Hugo Souza de Cursi
Monnet fait des histoires. Écrire pour agir sur le nouvel ordre des choses au tournant du 18e et du 19e siècle
Isabelle Laboulais
La sociobiologie est morte, vive la psychologie évolutionniste ! Le rôle de l’ambiguïté et du travail généalogique dans la transformation des spécialités scientifiques
Julien Larregue, Sylvain Lavau, Mahdi Khelfaoui
L’effet SIGAPS : la recherche médicale française sous l’emprise de l’évaluation comptable
Yves Gingras & Mahdi Khelfaoui
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Frictions
Le narcissisme sous le regard des sociologues.Introduction au dossier
Marc Joly & Corentin Roquebert
Narcissisme ou informalisation ?
Richard Kilminster
Narcissisme et processus de civilisation. Pour une lecture sociologique
Pierre-Henri Castel
Le narcissisme pathologique ou les frontières symboliques de la psychiatrie en question
Myriam Ahnich
Perversion narcissique, genre et conjugalité
Pauline Delage
De la « mère au narcissisme pervers » au « conjoint pervers narcissique ».Sur le destin social des catégories « psy »
Marc Joly & Corentin Roquebert
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Libres échanges
L’histoire des sciences et des savoirs : réflexions d’ici et d’ailleurs.
Entretien avec Antonella Romano
réalisé par Volny Fages & Jérôme Lamy
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Friches
« Everyone a changemaker! » Philanthropie, religion et spiritualité au secours de l’école publique
Sébastien Urbanski & Camille Noûs
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Classiques
Le savant hait le politique ? Johan Galtung et l’échec du Projet Camelot
Stéphane Dufoix
Le colonialisme scientifique
Johan Galtung
Margaret W. Rossiter et l’histoire des femmes scientifiques américaines
Béatrice Cherrier & Cléo Chassonnery-Zaïgouche
Les femmes scientifiques en Amérique
Margaret W. Rossiter
Plus vous regardez, plus vous trouvez : les archives des femmes scientifiques américaines contemporaines
Margaret W. Rossiter
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Critiques
Cybernétique introuvable ou cybernétique à satiété ?
Réponse à Mathieu Triclot
Ronan Le Roux
Tribulations d’un sociologue parti à la pêche aux lieux
Paul Guille-Escuret
D’un inhumain à l’autre
Céline Granjou
Contre l’innovation et sa doxa obsolescente, la maintenance
Arnaud Saint-Martin
Cette huitième livraison de Zilsel poursuit le travail d’inventaire critique des transformations contemporaines des sciences et techniques. Qu’il s’agisse de l’essor de la psychologie évolutionniste ou de l’emprise de l’évaluation comptable sur la recherche médicale en France, le propos des articles publiés est de rendre raison de phénomènes émergents et instables, qui suscitent le questionnement dans et à l’extérieur du champ scientifique. L’éditorial invité est signé par le virologue Bruno Canard. Spécialiste des coronavirus, il met en relief l’importance du temps long dans les processus de recherche. Un dossier « Frictions » est consacré au problème du « narcissisme ». Il met en perspective la construction du narcissisme via les catégories « psy », les « jugements de personnalité » et les rapports de genre. Un entretien avec l’historienne des sciences Antonella Romano permet de revenir sur des fronts de recherche de la discipline, et son histoire récente en France.
La Grande-Bretagne s’impose comme l’un des modèles de la gouvernance pour l’enseignement supérieur français, autant du point de vue de la gestion des flux étudiants que des modes de production, de financement et de diffusion de la recherche.
Il s’agit dns ce numéro de la revue éclaircir les effets de la transformation des modes de gouvernance sur le fonctionnement des universités et de la recherche. Comment « fait-on de la science » dans les universités britanniques aujourd’hui, a fortiori dans un contexte néolibéral ? Que signifie « faire des sciences sociales » aujourd’hui en Grande-Bretagne ? Quelle est la place des universitaires qui portent la parole des sciences sociales dans l’espace public britannique ?
La psychiatrie publique occupe, depuis 2019, le haut des agendas politique et médiatique. Ce dossier croise les regards d’acteurs impliqués dans la critique publique de l’étranglement progressif de la psychiatrie publique (psychiatres et/ou psychanalystes, journalistes, écrivains, patients) et ceux de chercheurs en sciences sociales afin de dépasser la paresse intellectuelle de la « crisologie » qui n’envisage les phénomènes sociaux que dans le cadre temporel étroit de l’actualité. . Qu’est-ce qui est réellement inédit dans la situation actuelle et qu’est-ce qui relève de dynamiques de moyen terme ? Quel répertoire critique adopter pour s’opposer efficacement au réductionnisme de la biologie et des neurosciences ? C’est à ces questions que ce dossier se propose de répondre.
Politisation, dépolitisation et repolitisation de la crise sans fin de la psychiatrie publique La psychiatrie publique occupe, depuis 2019, le haut des agendas politique et médiatique. Les professionnels et des associations de patients dénoncent leur fatigue de la gestion quotidienne de la pénurie, le retour de pratiques – comme la contention – que l’on croyait remisées au musée des horreurs de la psychiatrie, le démantèlement de l’héritage progressiste de la politique de sectorisation des années 1960 - 1980, l’emprise croissante des neurosciences ou, très récemment, l’insuffisance de lits pour faire face aux conséquences psychiatriques du confinement lié à la pandémie de Covid-19. Ce dossier croise les regards d’acteurs impliqués dans la critique publique de l’étranglement progressif de la psychiatrie publique (psychiatres et/ou psychanalystes, journalistes, écrivains, patients) et ceux de chercheurs en sciences sociales afin de dépasser la paresse intellectuelle de la « crisologie » qui n’envisage les phénomènes sociaux que dans le cadre temporel étroit de l’actualité. Car si la crise est de plus en plus aiguë, elle n’en est pas moins structurelle, presque constitutive de la spécialité psychiatrique qui ne cesse d’interroger son identité depuis au moins les années 1950. Qu’est-ce qui est réellement inédit dans la situation actuelle et qu’est-ce qui relève de dynamiques de moyen terme ? Qu’est-ce qui ressortit aux transformations des rapports de force internes au champ médical des bouleversements plus larges des catégories dominantes de perception et d’action ? Quel répertoire critique adopter pour s’opposer efficacement au réductionnisme de la biologie et des neurosciences ? C’est à ces questions que ce dossier se propose de répondre.
Il y a quelques années, une grande entreprise de livraison faisait placarder sur nos murs une affiche publicitaire qui, malgré son apparente banalité, méritait le coup d’œil : au centre s’étalait la cliente, mine ravie ; autour d’elle, sortant du cadre, une myriade de bras tendus lui apportaient les objets les plus divers. Cette image de pub – une parmi tant d’autres – capturait l’esprit du temps : seul compte le consommateur, et la gigantesque accumulation de marchandises qui s’offrent à lui. Tout ce qui rend possible l’échange (matériaux, idées, labeur, logistique, rapports de pouvoir et d’argent…) est hors-champ, rejeté dans l’anonymat ou le néant.
Il y a quelques années, une grande entreprise de livraison faisait placarder sur nos murs une affiche publicitaire qui, malgré son apparente banalité, méritait le coup d’œil : au centre s’étalait la cliente, mine ravie ; autour d’elle, sortant du cadre, une myriade de bras tendus lui apportaient les objets les plus divers.
Cette image de pub – une parmi tant d’autres – capturait l’esprit du temps : seul compte le consommateur, et la gigantesque accumulation de marchandises qui s’offrent à lui. Tout ce qui rend possible l’échange (matériaux, idées, labeur, logistique, rapports de pouvoir et d’argent…) est hors-champ, rejeté dans l’anonymat ou le néant. Le moment magique de la consommation – moment éphémère, mais réitérable à l’infini, du désir et de la captation – prend toute la place ; ce qui vient avant (la production) est repoussé dans les limbes ; ce qui vient après (les conséquences durables, et parfois irréversibles, de la consommation de masse) n’a guère plus d’importance. En consacrant ce cinquième numéro de L’Intérêt général à la consommation, il ne s’agit pas de dresser un réquisitoire. Car c’est entendu : il n’y a pas de vie sans consommation. Mais il s’agit, en revanche, d’élargir le cadre, et d’interroger, en même temps que la consommation elle-même, ses conditions sociales, ses ressorts culturels, et ses coûts environnementaux.
La crise du coronavirus s’est déclenchée alors que nous travaillions à ce numéro. Dans ce moment où les repères manquaient, Jean-Luc Mélenchon nous a fait parvenir un texte d’analyse qui nous a paru éclairant. Nous avons choisi de le faire figurer, hors dossier, dans ce numéro. On verra que, si son objet est global, la question de la consommation n’en est pas absente – loin de là.
La start-up n’a rien de neuf. Pourtant, en France comme dans tous les pays où les pouvoirs publics espèrent stimuler la croissance par l’innovation technologique et « l’économie de la connaissance », elle est érigée en modèle d’organisation désirable – et pas seulement pour les entreprises.
Start-up :
avènement d’un mot d’ordre
La start-up n’a rien de neuf. Pourtant, en France comme dans tous les pays où les pouvoirs publics espèrent stimuler la croissance par l’innovation technologique et « l’économie de la connaissance », elle est érigée en modèle d’organisation désirable – et pas seulement pour les entreprises.
Les rhétoriques de la « disruption » et de l’innovation « de rupture » justifient ainsi les dépenses injectées dans ces jeunes entreprises promises à un bel avenir. Les idéologues, « évangélistes » de la high-tech, et les responsables politiques y voient à l’unisson un horizon vertueux, sinon indépassable. Au même moment, les start-up nations apparaissent dans le monde, expression de la volonté d’inoculer dans les consciences une certaine vision néolibérale du travail, de l’économie et de l’action publique (-privée).
Si dans certains espaces économiques ce mythème circule sur le ton de l’évidence, dans l’indifférence des précédents historiques les plus confondants (l’explosion de la bulle Internet à l’orée du 21e siècle), l’intensification du « mode start-up » suscite aussi des résistances. De nombreux récits d’anciens employés dévoilent de l’intérieur les coulisses d’une activité dévorante, exposant au burn-out ou à l’insignifiance, caractéristique des bullshit jobs. Le propos de ce dossier est de contribuer à la connaissance de cette réalité, sur la base d’enquêtes de terrain faites ou en cours, et de retours d’expérience d’acteurs non dupes. Les terrains d’étude varient entre les « incubateurs », les grandes entreprises privées et publiques, les universités, les « écosystèmes innovants » de la Silicon Valley, les cabinets de conseil, les think-tanks et les entreprises de l’événementiel « startupiste ». Le tableau n’est pas complet mais, par recoupement, il permet de reconstituer le processus par lequel s’est imposé ce mot d’ordre, et ce faisant donne les moyens d’outiller une critique sociale de ces réalités.
La « startup » n’a rien de neuf. Pourtant, en France comme dans tous les pays où les pouvoirs publics espèrent stimuler la croissance par l’innovation technologique et « l’économie de la connaissance », elle est érigée en modèle d’organisation désirable – et pas seulement pour les entreprises. Les rhétoriques de la « disruption » et de l’innovation « de rupture » justifient ainsi les dépenses injectées dans ces jeunes entreprises promises à un bel avenir. Les idéologues, « évangélistes » de la high-tech et les responsables politiques y voient à l’unisson un horizon vertueux, sinon indépassable. Au même moment, les « startup nations » apparaissent dans le monde, et l’expression d’inoculer dans les consciences une certaine vision néolibérale du travail, de l’économie et de l’action publique (-privée).
Si dans certains espaces économiques ce mythème circule sur le ton de l’évidence, dans l’indifférence des précédents historiques les plus confondants (l’explosion de la bulle Internet à l’orée du 21e siècle), l’intensification du « mode startup » suscite aussi des résistances. De nombreux récits d’anciens employés dévoilent de l’intérieur les coulisses d’une activité dévorante, exposant au burn-out ou à l’insignifiance, caractéristique des « bullshit jobs ». Le propos de ce dossier est de contribuer à la connaissance de cette réalité, sur la base d’enquêtes de terrain faites ou en cours, et de retours d’expérience d’acteurs non dupes. Les terrains d’étude varient entre les « incubateurs », les grandes entreprises privées et publiques, les universités, les « écosystèmes innovants » de la Silicon Valley, les cabinets de conseil, les think-tanks et les entreprises de l’événementiel « startupiste ». Le tableau n’est pas complet mais, par recoupement, il permet de reconstituer le processus par lequel s’est imposé ce mot d’ordre, et ce faisant donne les moyens d’outiller une critique sociale de ces réalités.
Tables des matières
Éditorial
Sciences en danger, revues en lutte, par le collectif des revues en lutte
Dossier
Start-up : avènement d’un mot d’ordre
Maxime Quijoux et Arnaud Saint-Martin
Les politiques françaises de « startupisation » de la science. Une perspective historique
Erwan Lamy
Légitimité de la critique et critique de la légitimité entrepreneuriale. Retour d’expérience
Antoine Gouritin
Tous « startupeurs » ? Les enjeux de la diffusion de la rhétorique entrepreneuriale dans l’enseignement supérieur
Olivia Chambard
Docteurs, Pitches et ascenseurs. L’étrange recette du concours Ma thèse en 180 secondes
Jean Frances et Stéphane Le Lay
Modifier le vivant pour sauver la planète ? Les raisons d’entreprendre en biotechs
Gaëtan Flocco et Mélanie Guyonvarch
Des grandes entreprises et des start-up. Logiques d’interactions, pratiques de contrôle
Samir Bedreddine
Idées
Note sur les « penseurs » de la Silicon Valley
Arnaud Saint-Martin
Paroles
Marche ou crève. Les effets des réformes « darwinistes » de Bologne sur les chercheurs
Anonyme
Chronique internationale
Un licenciement collectif dans une université finlandaise
Gaela Keryell
Actualités
Chirac après Chirac ? Fortunes et infortunes de la postérité
Annie Collovald
Recension
En quête de « respectabilité »
Gérard Mauger
Rhétorique réactionnaire
Des Gilets jaunes aux syndicalistes en grève. La question de la représentation
Gérard Mauger
En tant que stupéfiants, les drogues représentent aujourd’hui un chiffre d’affaires mondial de 243 milliards d’euros, chiffre qui, s’il était rapporté au PIB d’un pays, placerait celui-ci au 21ème rang économique mondial, juste derrière la Suède.
L’objet de ce dossier porte sur l’espace politique des drogues. Il vise à interroger la manière dont elles travaillent l’ordre social et comment celui-ci façonne en retour leur production, leur circulation et leurs usages. Au-delà de considérations normatives et pathologisantes, il cherche à analyser la construction des catégories d’entendement du phénomène stupéfiant, dans ses représentations sociales et ses croyances. Autrement dit, il s’agit d’interroger la façon dont les drogues produisent des ordonnancements du monde, dans ses versants économiques bien sûr, mais aussi dans ses versants sociaux. Les approches tant historiques, sociologiques, juridiques, qu’économiques et sanitaires seront mises à contribution, en embrassant un champ géographique vaste allant de l’Asie aux Amériques en passant par l’Europe.
Ce deuxième volet du dossier sur les classes sociales aborde quelques-uns des enjeux conceptuels et politiques d’une approche en terme de « classes ».
Postulant qu’en délaissant cette approche la sociologie s’est privée d’un ensemble de questionnements, de notions et de résultats forgés par une longue tradition de recherche, il propose une série de contributions démontrant, à partir de points de vue variés, la fécondité des outils conceptuels « classistes » pour saisir et analyser les dynamiques sociales du présent.
Il soulève enfin quelques questions plus immédiatement politiques, en interrogeant la capacité de mobilisation (partisane et syndicale) des « classes populaires », et en reposant, contre les fausses évidences de la stratégie « populiste », la (vieille) question des « alliances de classes ».
Table des matières
Éditorial : Pour un changement de paradigme, Frédéric Lebaron
Dossier
Les classes sociales en question (II), Antony Burlaud et Gérard Mauger
Penser les classes avec Erik Olin Wright, Ugo Palheta
« Élite(s) » et « classe(s) dirigeante(s) ». Les sœurs ennemies de la sociologie, François-Xavier Dudouet
Compromis de classe et réformisme des dominants. Une approche néoréaliste, Stefano Palombarini
Le capitalisme managérial. Les voies de l’hybridité, Gérard Duménil et Dominique Lévy
Préférences électorales et normes d’emploi. Comment votent les catégories populaires ?, Antoine de Cabanes et Yann Le Lann
Les classes populaires au travail : Quelle représentation ?, Sophie Béroud
Grand entretien avec Francine Muel-Dreyfus
Accéder à l’inconscient social, Annie Collovald
Alterindicateurs
La pauvreté subjective comme mesure de l’insécurité sociale. Une comparaison des différents indicateurs de pauvreté, Nicolas Duvoux et Adrien Papuchon
Chroniques du monde
Coup d’œil sur l’éducation au Brésil de Bolsonaro. « Pas de financements pour la philosophie et la sociologie : il faut respecter l’argent du contribuable », Marie France Garcia Parpet
Idées
Une thérapie sociologique ? « Devenir quelque chose comme un sujet » , Gérard Mauger
Marx et ses héritiers avaient fixé les traits distinctifs d’une approche « classiste » de la société : effort pour appréhender la société de manière globale, rôle primordial accordé aux critères économiques, conception hiérarchique, relationnelle et antagonique des classes.
Assimilée et retravaillée, cette approche a nourri la sociologie, en dehors même de la tradition marxiste, et fortement imprégné les discours sur le monde social jusque dans les années 1970. Si, pour de multiples raisons, le concept de classe sociale a ensuite perdu sa centralité, les approches en termes de classes semblent aujourd’hui retrouver droit de cité.
C’est à ce « retour des classes sociales » dans le discours sociologique que ce numéro aimerait contribuer en proposant un ensemble de contributions mobilisant ou discutant l’outil « classe » et l’approche « classiste ».
Ce premier volet du dossier présente quelques éléments de cartographie macro-sociale – à l’échelle de la France, de l’Europe et du monde – en s’efforçant de saisir à chaque fois les dynamiques de cohésion et de fragmentation qui travaillent les classes.
La deuxième partie du dossier s’attachera à quelques-uns des « outils conceptuels » propres aux traditions sociologiques « classistes » et évoquera certains enjeux politiques liés à la question des classes
Table des matères
Éditorial Capitalisme français : le début de la fin ?, Frédéric Lebaron
Dossier. Présentation : Les classes sociales en question (I), Antony Burlaud et Gérard Mauger
Classes moyennes. L’ambivalence d’une progression sociale, Thomas Amossé
Ouvriers et employés aujourd’hui. Une photo de classe, Yasmine Siblot, Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet, Nicolas Renahy
Une cartographie statistique de la France contemporaine. Quelques grands principes de différenciation sociale, Rémi Sinthon
Des frontières de classes transnationales ?, Cédric Hugrée, Étienne Penissat, Alexis Spire
Ce que la financiarisation fait aux classes sociales, Benjamin Lemoine, Quentin Ravelli
Grand Entretien avec Michelle Perrot : « Rendre visibles des corps, faire entendre des voix ». Propos recueillis par Antony Burlaud et Annie Collovald
Paroles. Être dominée et fabriquer des élites. Une secrétaire des Grandes Écoles au travail, Annabelle Allouch
Actualité. Ma thèse en 180 secondes. La visibilité comme instrument d’oppression symbolique, Vincent Mariscal
Rhétorique réactionnaire. L’État face aux « Gilets jaunes ». Violence physique et violence symbolique, Gérard Mauger